Alimentation : protégez votre santé (et la planète) grâce à la règle des « 3V »


Depuis les débuts de la recherche en nutrition en 1850, les chercheurs occidentaux qui se sont intéressés à l’alimentation et la nutrition humaine ont adopté une démarche réductionniste. Autrement dit, ils ont considéré chaque aliment comme une somme de nutriments sans interaction les uns avec les autres.

Les aliments ont été décortiqués selon leur composition en protéines, lipides, glucides, fibres, minéraux, vitamines, antioxydants, calories, etc. On a ensuite tenté de réduire leur « potentiel santé » à l’un ou l’autre de leurs nutriments. Citons par exemple le calcium dans le cas des produits laitiers, la vitamine C dans celui des agrumes, ou encore les protéines en ce qui concerne la viande.

De la même façon, les causes des maladies chroniques ont été cherchées dans ces nutriments isolés. Le gras a été diabolisé, tandis qu’au contraire divers régimes (hyper-protéinés, cétogènes…) valorisaient certains nutriments. Des aliments nouveaux ont été produits, tels que les margarines enrichies en phytostérols (des lipides végétaux) ou en oméga-3, les céréales du petit-déjeuner enrichis en fibres, minéraux et/ou vitamines…

Cette approche réductionniste, c’est-à-dire essayant d’expliquer la globalité par les parties, ne fonctionne pas. En effet, on ne peut pas, par exemple, espérer corriger de cette façon des maladies chroniques dont l’origine dépend de nombreux facteurs (alimentation déséquilibrée, augmentation de la sédentarité et de la pollution environnementale…). En témoignent la progression constante de la prévalence desdites maladies, et la stagnation de l’espérance de vie en bonne santé, qui est d’environ 63 ans en France.

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Partant de ce constat, une vision différente commence à émerger, consistant à considérer les aliments dans leur entièreté, c’est-à-dire selon une approche « holistique » (de holisme, point de vue concevant les phénomènes comme des totalités). Celle-ci peut être déclinée en pratiques alimentaires visant à protéger à la fois la santé et l’environnement.

Un tel régime alimentaire obéit à la « règle des 3V » : végétal, vrai, varié.

Le réductionnisme, un outil à double tranchant

Pour faire simple, la pensée réductionniste considère que la complexité de la réalité ne peut être étudiée telle quelle. Elle propose de la décortiquer en ses parties constitutives, afin de les étudier séparément les glucides, lipides, protéines… pour les aliments.

Cette démarche a été scientifiquement validée. Rappelons que la découverte des vitamines, et leur prise sous forme de compléments, a permis notamment d’enrayer les déficiences ; celle des vaccins et antibiotiques a permis de sauver de nombreuses vies. Mais l’approche réductionniste devient problématique dans deux cas :

quand elle exclut toute autre forme d’approche, la considérant comme philosophique et non scientifique (alors que le réductionnisme est basé lui aussi sur une philosophie, notamment celle de René Descartes, le cartésianisme) ; quand elle cherche à généraliser à partir des parties isolées, en considérant que le tout est égal à la somme des parties selon l’équation élémentaire 2 = 1+1, excluant la synergie. Ainsi, réduire les agrumes à leur teneur vitamine C, c’est généraliser à partir du spécifique et laisser penser que les autres aliments ne sont pas sources de vitamine C.

Or, la façon dont on conçoit les aliments a des conséquences concrètes en terme de production alimentaire.

Notre vision de l’aliment devrait dépasser les limites de notre assiette

Si l’aliment n’est que la somme de ses composants, pourquoi se priver de le fractionner en ses parties constitutives, pour ensuite les combiner différemment, afin de fabriquer de nouvelles « matrices alimentaires » (comme dans les barres chocolatées, les confiseries, les sodas, certains desserts lactés ou steaks végétaux) ? Ou de le raffiner, puis ensuite l’enrichir en ses micronutriments perdus ?

Cette approche réductionniste est très rentable. Elle permet de développer sans cesse de nouveaux produits, tels que des compléments alimentaires à base de micronutriments, et des régimes vantant la consommation d’une partie du tout. Mais elle présente plusieurs inconvénients majeurs, en particulier en matière de santé.

Elle a par exemple donné naissance aux fameux aliments ultra-transformés. Or, on sait aujourd’hui que la consommation régulière ou excessive de ces derniers est associée à des risques significativement accrus de plusieurs maladies chroniques (diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, cancers totaux et du sein, syndrome de l’intestin irritable et symptômes dépressifs), de dérégulations métaboliques (surpoids, adiposité, obésité, hypertension, syndrome métabolique, dyslipidémie) et d’augmentation de mortalité. La vision réductionniste extrême – excluant toute autre forme d’approche – et exclusive des aliments semble donc bien liée au développement des maladies métaboliques chroniques.

Cette approche réductionniste pose un autre problème : elle crée un fossé entre les « sachants » (les spécialistes réductionnistes de la nutrition) et les « non sachants » (le « grand public », qui recherche désespérément des solutions miracles sur la base erronée de super nutriments ou super aliments). Au final, cette situation génère toujours plus de confusion alimentaire, avec le risque de mener à l’orthorexie, la maladie du réductionnisme extrême. Les personnes affectées par ce trouble du comportement alimentaire peuvent passer plusieurs heures par jour à choisir leurs aliments en fonction de leurs vertus, réelles ou supposées…

En outre, l’impact environnemental de cette approche est très néfaste car ces aliments ultra-transformés sont fabriqués à partir d’une multitude d’ingrédients isolés de quelques aliments bruts sur la planète et produits de façon intensive (blé, riz, maïs, soja, pois, lait, œufs…), menant à de la pollution, une perte de biodiversité, de la déforestation…

Partant de l’hypothèse d’une influence de la vision réductionniste des aliments sur la santé, on peut supposer qu’au contraire le retour à une approche plus globale de l’aliment, complémentaire, permettrait d’enrayer l’augmentation des maladies chroniques.

Le tout est supérieur à la somme des parties

La confusion liée au réductionnisme peut être dissipée assez simplement en revenant à une approche plus globale (plus « holistique ») de l’alimentation. En bref, l’holisme considère que le tout est supérieur à la somme des parties (autrement dit, 2 > 1+1), car il existe entre lesdites parties une interaction ou une synergie. Cette interaction (donc le lien entre « 1 » et « 1 ») participe de l’effet santé des aliments.

Pour mieux comprendre les approches holistique et réductionniste, prenons l’exemple d’un collier de perles. L’approche réductionniste consiste à retirer les perles du collier pour les étudier séparément (elles et leurs effets supposés). Toutefois dans cette approche, on néglige le rôle du fil (le lien donc) qui est essentiel au collier ; on a aussi tendance à conclure que le collier de perles est la même chose que la somme des perles. Or le collier structuré est bien plus que la somme des perles et du fil pris isolément.

Pour revenir à l’alimentation, la matrice ou la structure d’un aliment résulte des interactions entre ses nutriments. Lors de la digestion, elle influe notamment sur la satiété, la vitesse d’absorption et le métabolisme des nutriments, la sécrétion des hormones, la vitesse de transit digestif… Autant de facteurs très importants pour notre équilibre métabolique. Par exemple un jus de fruit transite plus vite que le fruit entier correspondant, et il est moins rassasiant.

Les aliments ultra-transformés, dont les effets néfastes sur la santé sont régulièrement pointés du doigt, sont en réalité majoritairement des reconstitutions d’ingrédients et/ou d’additifs (les perles issues de plusieurs colliers différents mais sans les fils qui les lient entre elles). Il s’agit de purs produits de la pensée réductionniste. Il ne faut pas pour autant abandonner cette approche au profit d’une approche exclusivement holistique.

Une approche complémentaire

Il est important de souligner que l’approche holistique n’est pas suffisante à elle seule. Les deux approches doivent coexister harmonieusement. Dans certains cas, il est essentiel de décortiquer les constituants et de les isoler, pour comprendre certains mécanismes en utilisant un modèle réductionniste. C’est par exemple le cas lorsqu’il s’agit de lutter contre des déficiences nutritionnelles graves résultant d’une carence en une vitamine donnée par exemple : la cause est unique et identifiable.

Néanmoins, lorsqu’il s’agit de maladies chroniques multifactorielles ou multi-causales, rechercher une seule cause dans un aliment ou un nutriment ne fonctionne plus. Une approche plus holistique qui prend en compte la multi-dimensionnalité de ces maladies devient essentielle. Pour l’instant, cette approche n’est pas suffisamment prégnante.

Au final, il est important de considérer chaque question de recherche d’abord selon une approche holistique, puis ensuite d’appliquer – quand nécessaire – une approche plus réductionniste. Du général au particulier, en somme…

Comment tendre vers une alimentation plus holistique ?

Les tenants d’une alimentation holistique remettent l’humain au centre des préoccupations. Ils considèrent que l’alimentation doit protéger à la fois la santé mais aussi la biodiversité, le bien-être animal et l’environnement.

Qu’est-ce que le « potentiel santé » d’un aliment ? A. Fardet

Avoir une approche holistique de l’aliment c’est considérer que son potentiel ne peut être réduit à la somme de ses nutriments (la composition donc) mais aussi à sa matrice (fraction « holistique »). Comme la transformation des aliments agit à la fois sur la matrice et la composition de l’aliment, alors l’approche holistique implique de considérer le degré de transformation des aliments en lien avec la santé.

Concrètement, les résultats de la science convergent vers la définition d’un régime protecteur générique qui obéit à la « règle des 3V » (pour végétal, vrai, varié) ou aux « trois règles d’or pour une alimentation saine, durable et éthique ». privilégier les produits « végétaux » (85 % des calories quotidiennes) ; privilégier les produits non ultra-transformés ou « vrais aliments » (qui devraient représenter au moins 85 % des calories quotidiennes) ; au sein des vrais aliments, manger « varié ».

Le régime qui résulte de ces trois règles est riche d’une variété de produits végétaux peu ou pas transformés (et si possible bio, locaux et de saison).

Ces trois règles sont simples, plutôt qualitatives, et holistiques, en ce sens que si on les applique, on est sûr de remplir tous nos besoins nutritionnels sans avoir à se préoccuper de la teneur de chaque aliment en tel ou tel nutriment. On peut de cette façon « bien manger » pour rester en bonne santé sans posséder de grandes connaissances en nutrition.

Cerise sur le gâteau, cette approche holistique permet aussi d’améliorer la durabilité de nos systèmes alimentaires, ce qui ne serait pas possible sans elle.
 

Présentation des auteurs

Cet article est republié à partir de la Revue The Conversation    sous licence Creative Commons. Le réseau global The Conversation a une audience mensuelle de 18 millions de lecteurs et une audience globale de 42 millions à travers les republications sous la licence Creative Commons.
 
Il a été rédigé par :
 
Anthony Fardet
Chargé de recherche, UMR 1019 - Unité de Nutrition humaine, Université de Clermont-Auvergne, Inrae
 
Edmond Rock
Directeur de recherche, Inra
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